Réactions à Kinshasa à l'arrestation de Stanis Bujakera
Paul Lorgerie
13 septembre 2023
Arrêté vendredi (08.09) sur le tarmac de l’aéroport de Kinshasa, Stanis Bujakera est depuis maintenu en détention au sein du parquet de grande instance de la commune de la Gombe.
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A près de trois mois de l’élection présidentielle, de nombreuses institutions s’inquiètent de cette arrestation et de la réduction de l’espace civique dans le pays. Pour autant, les pressions sur les journalistes congolaisne sont rien de vraiment nouveau.
"L’arrestation de ce journaliste arrive à un moment où les journalistes commencent à faire face à certaines difficultés", dit Seif Magango, porte-parole du bureau des Nations unies pour les droits de l’Homme.
Pour lui, l’arrestation de Stanis Bujakera est un nouveau coup porté à la liberté d’expression, à quelques mois seulement de l’élection présidentielle. Et alors que Stanis Bujakera est accusé d’avoir fabriqué de toutes pièces un document de l’Agence nationale des renseignements, ses téléphones ainsi que son ordinateur lui ont été confisqués.
Une source d’inquiétude pour Seif Magango qui dit que "la demande comme quoi il devrait révéler ses sources est très préoccupante, car elle va à l’encontre de l’essence même du journalisme, disant qu’un journaliste ne peut trahir ses sources lors d’un reportage."
Mais si la situation s’est crispée ces derniers mois, travailler en tant que journaliste au Congo n’est pas toujours une partie de plaisir. "Le journaliste congolais exerce son métier dans un environnement global qui lui est hostile à plusieurs égards", rappelle Tshivis Tshivuadi, secrétaire général de l’association Journalistes en danger.
D’un côté, le climat économique défavorable à la profession oblige parfois les professionnels de la presse à « trouver l’argent où se trouve l’information, quitte à devenir communicateur », concède Tshivis Tshivuadi.
Et dans un pays situé à la 124e position sur 180 dans le classement de , les journalistes respectueux de leur code de déontologie doivent régulièrement faire face à des attaques, de la part des acteurs politiques ou de leurs sympathisants. Un ressentiment qui pourrait s’accentuer dans les mois à venir : "souvent on constate que les journalistes sont pris pour cible soit par les forces de sécurité, soit par les militants des partis politiques."
La liberté de la presse, toujours en danger en Afrique
Censure, répression, sanctions sont le quotidien des journalistes dans de nombreux pays d’Afrique. Dans 26 Etats, Reporters sans frontières qualifie la situation de la liberté de la presse de "mauvaise" ou pire.
Image : Getty Images/AFP/M. Sibiloni
Ouganda : les médias sous pression
En Ouganda, les journalistes jugés trop critiques sont régulièrement la cible d’attaques voire même enlevés. Le président Yoweri Museveni a qualifié en 2018 les journalistes de "parasites". Les autorités censurent les reportages à la télévision, menacent les chaînes de fermeture. Une taxe journalière sur l’utilisation des réseaux sociaux a été introduite en 2018, une première en Afrique.
Image : Getty Images/AFP/M. Sibiloni
Ethiopie: 250 sites internet de nouveau autorisés
L’Ethiopie enregistre des progrès depuis l‘arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed, en avril 2018. Plusieurs journalistes emprisonnés ont été libérés, 250 sites d’information jusqu’alors interdits ont été autorisés, les chaînes de TV éthiopiennes établies à l’étranger peuvent désormais diffuser librement. Une commission examine les lois répressives contre la presse pour les modifier.
Image : Getty Images/AFP/S. Kolli
Erythrée: une censure de fer depuis 2001
La presse dépend totalement, en Erythrée, du bon vouloir du président Issayas. En 2001, tous les médias indépendants ont été fermés. La seule radio indépendante, Radio Erena, émet depuis l’étranger mais son signal est brouillé par les autorités du pays. Dans le classement mondial de RSF, l’Erythrée est troisième en partant de la fin, devant la Corée du Nord et le Turkménistan.
Les médias ont souffert sous la présidence d’Omar el-Béchir. Rien qu’en décembre dernier, près de cent journalistes ont été arrêtés, des journaux trop critiques ont été fermés. Officiellement, 15 sujets ont été placés sur liste rouge : il est interdit d’en parler. Parmi eux : les services de sécurité. Les Soudanais attendent de voir quelle tournure prendront les événements après la transition.
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Burundi: résignation et autocensure
Depuis la tentative de putsch de 2015, la plupart des radios indépendantes du Burundi sont fermées, leurs journalistes vivent en exil ou subissent de fortes pressions. En 2018 encore, la presse burundaise travaillait dans la peur et pratiquait l’autocensure. Karenga Ramadhan, président du Conseil national de la communication, a suspendu en mai 2018 les émissions de la BBC et de la VOA.
Image : Getty Images/AFP
Angola : de prudentes avancées
Malgré l’alternance de 2017, les médias sont surveillés par le gouvernement. Seule la Radio Ecclesia et quelques sites internet peuvent émettre des critiques. Les nouveaux venus sur le marché de la presse n’obtiennent pas de licences, les chaînes de TV et radio doivent diffuser les discours du président en intégralité. L’opposition n’a pas sa place dans les colonnes des journaux étatiques.
Image : Getty Images/AFP/S. de Sakutin
Gabon : sanction contre les médias d’Etat
La plupart des titres de presse au Gabon sont favorables au gouvernement. En 2018, des médias nationaux et une chaîne internationale ont été sanctionnés pour avoir critiqué Ali Bongo et ses collaborateurs. En janvier, internet a été coupé suite à une tentative de coup d’Etat et les radios publiques suspendues en partie. L’autocensure est pratiquée tous les jours.
Image : Getty Images/AFP/S. Jordan
RDC: l’espoir d’un mieux ?
La République démocratique du Congo a enregistré en 2018 le plus grand nombre de violations des droits de la presse de toute l’Afrique de l’ouest. Violence, fermetures, coupures d’internet ont été l’année dernière le lot des journalistes congolais. Le nouveau président, Félix Tshisekedi, a promis de renforcer la presse du pays…
Image : Getty Images/AFP/S. Maina
Tchad: un an sans réseaux sociaux
Aucune critique au président Idriss Deby Itno n’est tolérée au Tchad. Des journalistes étrangers sont renvoyés du pays. Les journalistes tchadiens réfractaires sont emprisonnés. En février 2018, les médias du pays ont appelé à une "Journée sans presse". Depuis, les réseaux sociaux sont coupés dans le pays.
Image : AFP/Getty Images/I. Kasamani
Tanzanie: étouffer les voix critiques
Le président Magufuli veut faire taire toutes les voix critiques depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Il a instauré de fortes taxes pour l’enregistrement de sites internet et de blogs. Les médias trop critiques sont fermés. En février 2019, le journal "The Citizen" a été suspendu pendant une semaine pour avoir, selon les autorités, publié des informations dont il savait qu’elles étaient fausses.
Image : DW/E. Boniphace
Rwanda: contrôle gouvernemental étroit
La presse est contrôlée de près sous la présidence de Paul Kagame. Les journalistes étrangers se voient souvent refuser des accréditations. Le génocide de 1994 est souvent utilisé pour réprimer des journalistes que le pouvoir qualifie de "divisionnistes". Beaucoup de journalistes rwandais ont dû fuir le pays. Les médias internationaux sont souvent bloqués.
Image : Getty Images/AFP/Gianluigi Guercia
Zambie: fermeture des médias qui dérangent
Les tensions politiques servent de prétexte pour museler la presse indépendante. Le journal indépendant "The Post" a dû mettre la clef sous la porte, plusieurs chaînes de radio et de TV se sont vu retirer leur licence. En mars 2018, une chaîne de télévision privée a dû fermer aussi, accusée de partialité.
Image : GIANLUIGI GUERCIA/AFP/Getty Images
Tunisie: une amélioration encore perfectible
La Tunisie est remontée de 25 places dans le classement RSF 2019. La démocratisation en cours depuis la chute de Ben Ali en 2011 se fait sentir aussi du côté des médias. Mais les professionnels de l'information réclament toujours une révision du cadre législatif et protestent régulièrement, comme ici en avril 2019 à Tunis, contre la fermeture d'organes de presse.
Image : Getty Images/AFP/F. Belaid
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Journalistes en danger ?
En 2022, l’association de défense des journalistes avait recensé 124 actes de violences contre des journalistes, dont un meurtre et deux enlèvements. Et lors d'une conférence de presse cet après-midi, le rassemblement des journalistes pour l'émergence du Congo a appelé à la manifestation si Stanis Bujakera n'était pas libéré dans les 72 heures.