1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW

Repenser les clichés sur l'Afrique

Jean-Michel Bos
19 septembre 2020

Le continent est souvent décrit avec des images misérabilistes alors que même si les retards existent, les efforts d'éducation et de santé y sont importants.

Etudiants durant un examen à Monrovia, au Liberia, en 2013
Etudiants durant un examen à Monrovia, au Liberia, en 2013Image : picture-alliance/dpa/A. Jallanzo

La Covid-19 est venue bouleverser les habitudes occidentales de penser : oui, l'Europe pouvait être touchée par une pandémie meurtrière et non, ceci n'était pas l'apanage des pays en voie de développement – et en particulier de l'Afrique subsaharienne. 

Avec un peu plus de 32.000 décès liés à la Covid-19 (soit à peine plus que la France), le continent africain est d'ailleurs, avec l'Océanie, celui le moins touché au monde.  

Pourtant, de nombreux experts prévoyaient une catastrophe sanitaire qui n'est pas survenue. 

Même si le manque de tests réalisés (près de quatre millions en Afrique du Sud mais à peine 430.000 au Nigeria ou 160.000 au Sénégal) ne permet pas de connaître encore avec précision le bilan de la pandémie sur le continent. 

Car derrière ce catastrophisme, il y a une manière de penser l'Afrique. On peut y voir le syndrome des images qui ont marqué l'imaginaire : la famine au Darfour ou les épidémies d'Ebola dont la dernière, dans le Nord-Kivu, en République démocratique du Congo (RDC), a fait 2.287 morts en 2018-2020. 

Le progrès des vaccins

Celle-ci est d'ailleurs désormais quasiment éteinte, même si une autre épidémie a démarré dans la province de l'Équateur. Mais l'image d'un continent frappé par la faim ou les maladies colle à l'Afrique subsaharienne. 

Une réputation qui n'est pourtant pas méritée car dans les faits, les campagnes de vaccination sont bien établies et touchent une part importante de la population. 

Prenons l'exemple du vaccin DTP (diphtérie, tétanos, poliomyélite) : les trois quarts des enfants africains de moins de deux ans sont désormais immunisés. Ils n'étaient que 56% en 1990, soit une progression d'un tiers en trois décennies, la plus importante au monde. 

  

L'Afrique a connu le plus important taux de progression du vaccin DTP.

Cette amélioration est aussi spectaculaire pour ce qui concerne la rougeole, une maladie pour laquelle 74% des enfants africains sont désormais vaccinés, ce qui s'est traduit, depuis 1990, par une baisse de plus de la moitié de la mortalité des enfants de moins de cinq ans. 

Sur ce point, même si ce n'est pas l'unique facteur, le lien est évident entre la vaccination contre la rougeole et la chute de la mortalité infantile.

Les progrès en matière de vaccination contredisent ainsi certaines visions simplistes du continent et l'annonce récente de l'éradication de la poliomyélite en Afrique vient ajouter à cet optimisme. "C'est un moment historique pour l'Afrique », a ainsi déclaré la directrice Afrique de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), Matschidiso Moeti. 

La rougeole plus meurtrière qu'Ebola 

Malgré tout, il reste des efforts à déployer et l'analyse de la mortalité des enfants de moins de cinq ans montre que l'Afrique subsaharienne reste distancée par rapport aux autres zones géographiques.  

Avec 77,5 morts pour 1.000 naissances, elle apparaît loin derrière l'Asie du Sud (42,1), tandis que l'Union européenne est en dessous de quatre décès. 

Par ailleurs, si la poliomyélite est éradiquée, la rougeole ne l'est pas puisqu'une récente épidémie de rougeole en RDC, officiellement terminée, a causé la mort de 7.000 enfants en deux ans. 

Un bilan trois fois plus lourd qu'Ebola dans le Nord-Kivu et pourtant cette épidémie de rougeole a peu fait parler d'elle. Peut-être parce qu'elle cadrait moins avec certains clichés mentaux : la rougeole est connue, elle fait moins peur qu'Ebola. 

Lien entre vaccination contre la rougeole et mortalité des enfants de moins de 5 ans.

  

C'est d'ailleurs cette facilité a priori de guérir de cette maladie qui explique la réaction de Tedros Adhanon Ghebreyesus, directeur général de l'OMS, pour qui "le fait qu'un enfant meure d'une maladie évitable par la vaccination comme la rougeole est franchement un scandale". 

Mais là encore, il faut sortir des idées reçues car les pays riches sont aussi touchés. Toujours selon l'OMS, en 2019, les États-Unis ont enregistré le plus grand nombre de cas de rougeole depuis 25 ans "tandis que quatre pays d'Europe – l'Albanie, la Grèce, le Royaume-Uni et la République tchèque – ont perdu le statut de pays ayant éliminé la rougeole".  

L'école contre les grossesses précoces 

Autre point positif sur le continent africain : la scolarisation des enfants. Le taux d'inscription à l'école primaire n'a cessé de progresser depuis trois décennies et désormais il touche près de trois enfants sur quatre.  

Si les enfants des rues existent toujours, les reportages sur les talibés au Sénégal ne devraient pas faire oublier que la norme pour un enfant africain est d'aller à l'école.

En revanche, la situation se dégrade à partir du secondaire (collège), atteint par seulement 35% d'une classe d'âge sur le continent – 34% pour les jeunes filles. Sur ce point, l'Afrique est à la traîne puisque la moyenne mondiale de scolarisation des filles dans le secondaire est de 66%. 

Pourquoi se focaliser sur les filles ? Parce qu'il existe un lien entre scolarisation et maternité précoce. En effet, une fille qui poursuit des études secondaires aura son premier enfant plus tard.

Selon laBanque mondiale, en moyenne "une année supplémentaire d'études secondaires réduit de six points de pourcentage les chances d'avoir des enfants avant d'atteindre l'âge adulte".

Lien entre études secondaires et baisse des grossesses précoces.

De ce point de vue, l'Afrique n'apparaît pas à son avantage. En effet, avec un peu plus de 100 naissances pour 1.000 adolescentes de 15 à 19 ans, le continent est distancié par rapport aux autres et même par rapport à la moyenne mondiale qui est deux fois moins importante. 

Etrangement, seule la zone Amérique latine et Caraïbes semble échapper à la règle qui indique que la scolarisation des jeunes filles réduit les grossesses précoces.

La récente polémique en Afrique sur les maternités non désirées durant la période de confinement vient renforcer cette image d'une démographie non maîtrisée. C'est le cas en République démocratique du Congo, dans le Nord-Kivu, où un rapport publié en juillet faisait état de plusieurs dizaines de jeunes filles enceintes depuis la fermeture des écoles en raison de la Covid-19. 

Une situation similaire se retrouve au Malawi où, selon les chiffres du gouvernement, plus de 7.000 jeunes filles de 10 à 19 ans seraient tombées enceintes durant le premier semestre 2020 qui a coïncidé avec le confinement des populations. 

Cette situation a donc montré l'importance de l'école comme élément d'émancipation des filles. Sur ce point d'ailleurs, d'autres données sur l'Afrique subsaharienne viennent prendre à contrepied un certain nombre d'idées toutes faites, comme les dépenses liées à l'éducation.  

En effet, sur le continent, les gouvernements dépensent en moyenne 17% de leur budget pour l'éducation, soit trois points au-dessus de la moyenne mondiale et plus que les pays de l'Union européenne (12%) ou que ceux d'Amérique du Nord (13%). 

L'eau insalubre, cause de mortalité 

Enfin, les critères du développement humain ou du confort de vie apporté aux populations sont moins positifs. L'accès à l'électricité a augmenté de manière notable, beaucoup plus que dans le reste du monde et désormais un Africain sur deux possède une alimentation électrique.  

Mais cette progression est aussi liée au fait que l'Afrique subsaharienne rattrape un retard qui demeure important par rapport au reste du monde. 

Il existe par ailleurs de grandes disparités entre les pays africains sur ce point, entre par exemple le Gabon (91% d'accès à l'électricité), l'Afrique du Sud (84%), le Sénégal (67%) ou le Rwanda (35%), la RDC (18,2%) et le Burundi (9%). 

  

Progression de l'accès à l'électricité dans le monde.

Le plus préoccupant restant finalement l'accès à l'eau potable et à l'assainissement (tout-à-l'égout), des infrastructures sanitaires de base et de première importance pour faire face aux maladies et ceci d'autant plus en période de pandémie de Covid-19. Car comment se laver les mains lorsqu'on n'a pas accès à l'eau courante, qu'elle soit potable ou non ?

Selon les dernières données du Global burden of disease, une étude épidémiologique publiée par le journal scientifique The Lancet, l'eau insalubre cause chaque année la mort de 1,2 millions de personnes dans le monde.  

Cela représente trois fois le nombre des homicides dans le monde et cela égale le nombre de personnes tuées sur la route en une année sur notre planète. 

Le Tchad occupe une triste première place avec un décès sur sept causé par le manque d'eau salubre. 

L'accès à l'eau dans le monde.

 

Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos
Passer la section Sur le même thème