Ruth Weiss, une vie au service d'un monde humaniste
15 septembre 2025
Ce lundi ont eu lieu les funérailles de Ruth Weiss. La journaliste, écrivaine et militante juive des droits de l'homme est décédée à l'âge de 101 ans.
Tout au long de sa vie, Ruth Weiss "a puisé dans les souffrances incommensurables de l'Holocauste et dans son vécu sous l'apartheid en Afrique du Sud pour nous transmettre une mission éducative éternelle : celle de na pas vivre dans un monde divisé entre eux et nous, mais dans un monde qui prône une humanité qui vit ensemble", lui a rendu hommage le ministre allemand de la Culture.
Ruth Weiss, son nom de jeune fille était Ruth Löwenthal, est née en Bavière en 1924 de parents juifs. La famille vit à Nuremberg, lorsque le parti nazi prend le pouvoir. Son père se retrouve sans emploi et décide d'émigrer en Afrique du Sud, en 1933, avant d'être rejoint par sa famille.
Ils s'installent dans un quartier résidentiel ouvrier blanc de Johannesburg.
Antisémitisme et racisme
Adolescente, Ruth Weiss est témoin de l'antisémitisme des fascistes sud-africains blancs et le racisme brutal contre les Noirs.
Dans ce pays dominé par les Blancs, "nous avions la bonne couleur de peau, mais la mauvaise religion”, expliquera-t-elle dans une interview accordée l'an dernier à la Deutsche Welle.
Ruth Weiss a débuté sa carrière dans un cabinet d'avocats. Pour la jeune femme, l'apartheid est inacceptable. Son engagement citoyen l'amène à rencontrer le journaliste Hans Weiss, son futur mari. C'est comme cela que Ruth Weiss commence à écrire et à raconter les atrocités de l'apartheid pour les médias européens.
Pour Katharina Weiß de l'ONG Reporters sans frontières (RSF) , "en tant que témoin du monde contemporain, elle a attiré l'attention sur le racisme, l'apartheid et l'antisémitisme et laisse derrière elle un héritage journalistique très riche qui s'est toujours focalisé sur la justice et les droits de l'homme".
Uschi Eid, présidente de la Fondation allemande pour l'Afrique, estime qu'avec ce décès, "nous avons non seulement perdu une amie sincère de l'Afrique, mais aussi une autorité morale qui nous a toujours rappelé de prendre nos responsabilités et d'apprendre de l'histoire".
Une journaliste engagée
À partir des années 1960, Ruth Weiss se fait un nom comme journaliste économique, mais aussi à travers ses reportages qui couvrent notamment les mouvements d'indépendance en Zambie et dans l'actuel Zimbabwe, ainsi que la lutte anti-apartheid en Afrique du Sud.
Ruth Weiss dénonce l'injustice de la politique d'apartheid. Elle noue des liens avec des personnalités des mouvements d'indépendance africains, dont Robert Mugabe, le futur dictateur du Zimbabwe, ainsi que l'ex-président de la Zambie, Kenneth Kaunda, et le héros sud-africain Nelson Mandela, qu'elle va interviewer avant son arrestation, en 1963.
Depuis 2020, Ruth Weiss était présidente d'honneur du Centre Pen des auteurs germanophones à l'étranger. Pour la secrétaire générale du Centre, Helga Druxes, "c'était une citoyenne du monde avec un grand charisme. Elle se caractérisait par sa curiosité pour les gens, sa sincérité, son humour, et surtout sa modestie".
En 1966, Ruth Weiss quitte l'Afrique et s'installe à Londres, où elle écrit notamment pour le Guardian. De 1975 à 1978, elle travaille à la rédaction Afrique de la Deutsche Welle.
En 1980, elle s'installe à Harare et accompagne l'indépendance du Zimbabwe. "Beaucoup d'Européens pensent encore qu'ils vivent dans des conditions coloniales et que les pays africains ne sont que des pourvoyeurs de richesses. Cela doit changer", s'insurgeait Ruth Weiss, interrogé par la DW.
En 2005, elle est nommée pour le prix Nobel de la paix comme l'une des "1 000 femmes de la paix à travers le monde".
Combattre l'injustice "partout"
À Aschaffenburg, une école secondaire porte son nom depuis 2010, et le musée juif du Cap lui a rendu hommage avec une exposition en 2014. "My Sister Sara”, son livre sur l'apartheid pour les jeunes, est une lecture obligatoire dans de nombreuses écoles.
En 2014, elle a reçu la Croix fédérale du Mérite de première classe, en 2023 l'Ordre national sud-africain et en 2024, l'Ordre du mérite de la République fédérale d'Allemagne.
En août dernier, malgré son âge avancé, elle a publié son dernier ouvrage "Se souvenir, c'est agir". Elle s'y exprime notamment sans détours sur l'escalade au Proche-Orient : "Les deux peuples, juif et arabo-palestinien, ont le droit de vivre en Palestine !", plaide-t-elle. "La haine qui continue de croître à chaque mort supplémentaire ne fera que prolonger la tragédie pour les deux peuples".
En 2023, à l'occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l'Holocauste, Ruth Weiss a déclarait au parlement du Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie : "J'ai appris que le racisme, l'antisémitisme et la misanthropie ne connaissent pas de frontières, qu'il s'agit d'une injustice qui doit être combattue partout".
Collaboration : Joséphine Mahachi