Les autorités sénégalaises ont interdit la grande marche silencieuse prévue ce mardi [13.02.24], à l'appel de la société civile, à Dakar.

Les organisateurs du nouveau collectif Aar Sunu Election ("Protégeons notre élection") ont décidé de repousser la manifestation, pour éviter de nouvelles violences. Une dizaine de syndicats, de groupes citoyens et de mouvements religieux comptent toutefois continuer à protester contre le report de la présidentielle.

Les anciens présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade ont signé une lettre commune pour appeler au calme, mais aussi au dialogue. Ils enjoignent le chef de l'Etat, Macky Sall, de ne pas déstabiliser le pays et la jeunesse et de ne pas recourir à la violence.

Fabian Heppe, représentant de la fondation allemande Heinrich Böll à Dakar, revient sur ce courrier surprenant des deux ex-chefs de l'Etat... surprenant à première vue, en tout cas.

Ecoutez l'interview avec Fabian Heppe ci-contre : 

 

DW : Comment interprétez-vous cet appel commun des deux anciens présidents sénégalais Abdou Diouf et Abdoulaye Wade?

Je pense que ce communiqué revêt deux significations. D'abord il souligne une grande inquiétude face à la situation actuelle du Sénégal, partagée par de nombreux dirigeants politiques. Mais de nombreux observateurs estiment aussi que les deux anciens présidents ont agi également parintérêt politique.

DW : Est-ce que les voix d'Abdou Diouf et Abdoulaye Wade sont encore audibles par la jeunesse ? Les jeunes de 2024 ne les ont pas connus au pouvoir...

L'âge médian est de 19 ans. 75% de la population ont moins de 35 ans. On peut se demander si cet appel de deux anciens présidents vivant à l'étranger et que beaucoup ne connaissent pas - si ce n'est par les journaux ou les cours d'histoire - aura vraiment un impact.

La jeunesse sénégalaise souffre d'un taux de chômage très élevé et se mobilise pour des conditions de vie dignes et pour être entendue par les dirigeants politiques.

 

DW : A quoi les deux ex-présidents font-ils référence quand ils parlent d'une "manipulation par des forces extérieures aux desseins obscures"?

C'est la grande question. Ce n'est pas la première fois que cette formulation est utilisée. Je pense que c'est aux dirigeants politiques de préciser ce qu'ils entendent par là. 

 

DW: Est-ce qu'Abdoulaye Wade est bien placé, en tant que père de Karim Wade, qui voulait être candidat et est l'un des déclencheurs de la crise actuelle, pour appeler au calme et au dialogue ?

Beaucoup de personnes estiment qu'il y a des intérêts personnels et politiques derrière ce communiqué des deux présidents. Karim Wade a d'ailleurs salué ce courrier. C'est Karim Wade qui est actuellement au centre de tout ce qui se passe, du report des élections. Et ce report pourrait lui permettre de se présenter aux élections. Donc la famille Wade a, en quelque sorte, un intérêt au report de ces élections. 
Par ailleurs, cet appel montre l'alliance de circonstance montre l'alliance entre le PDS (de Karim Wade) et l'APR (de Macky Sall). Cette alliance essaie de freiner l'émergence de nouvelles générations de leaders incarnées actuellement par Ousmane Sonko et Bassirou Diomaye Faye, du parti Pastef qui a été interdit. Ces deux leaders se trouvent actuellement en prison.

 

DW: Et ils jouissent d'un grand écho au sein de la jeunesse sénégalaise.

Absolument.