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Au Soudan, "il faut faire cesser les combats"

Sandrine Blanchard | Avec agences
4 mai 2023

Les Nations unies appellent à l'arrêt des hostilités, au Soudan. Mais les négociations entre les généraux ennemis s'annoncent compliquées... et vont prendre du temps.

Des nuages de fumée noire au-dessus de Khartoum (photo du 3 mai 2023)
La capitale soudanaise, Khartoum, est toujours sous les bombardementsImage : AFP/Getty Images

"Les combats au Soudan doivent cesser maintenant“. Voilà l’appel lancé de nouveau par le Secrétaire général des Nations unies.

António Guterres s’inquiète notamment des répercussions du conflit en cours et de la catastrophe humanitaire qui risque s’étendre encore dans le pays et la région. A Khartoum, la trêve qui devait entrer aujourd’hui en vigueur n’a pas empêché les tirs et les explosions.

Des tirs et plus d'électricité

A Khartoum, la population vit terrée pour éviter les bombardements. Les conditions de vie des habitants qui sont restés dans la capitale se détériorent un peu plus chaque jour.

Un vendeur de légumes, Ahmed Hachem, raconte : "Depuis le début de la guerre, les prix du carburant se sont envolés. On n’a plus d’argent liquide, plus d’électricité. Les paiements en ligne ne marchent plus. Maintenant, une bouteille de gaz coûte 50.000 livres soudanaises, soit environ 75 euros. On utilise nos pompes d’irrigation pour des plantes qui ne donnent plus rien."

Un ressortissant tchadien bloqué au Soudan, témoigne également de sa détresse dans ce message de mercredi soir [03.05.23]: "J’ai dû prendre mes enfants et on a dû partir. On est à 300km de Khartoum, on n’a pas trouvé la route pour Genena [ville frontalière avec le Tchad], on a dû partir vers l’est, en direction de Port-Soudan."

Dans un autre enregistrement parvenu à la DW, on entendait les tirs à l'arme lourde autour de lui.

Alors forcément, la frustration est grande et l’envoyé spécial des Nations unies pour le Soudan, Volker Perthes, a été accueilli par des manifestations à son arrivée à Port-Soudan, à plus de 670km à l’est de la capitale.

Les Nations unies estiment à 402 millions d'euros les besoins pour aider les réfugiés soudanais à venir jusqu'en octobreImage : Gueipeur Denis Sassou/AFP

Les Nations unies s’activent

C’est depuis cette ville côtière épargnée par les violences que l’Onu tente d’organiser l’aide humanitaire.

Le coordonnateur des secours d'urgence de l'Onu, Martin Griffiths, tente de reconstituer les stocks d’approvisionnement qui ont été pillés.

Il essaie d’organiser l’aide internationale, avec les différentes agences de l’Onu, des ONG, la société civile soudanaise et, espère-t-il, des garanties de la part des belligérants.

"Premièrement, [nous souhaitons] des accords clairs et définitifs, des engagements écrits en public par les parties en conflit, pour protéger la circulation de l’aide humanitaire, des travailleurs humanitaires, pour mettre fin au pillage des stocks humanitaires afin que les agences d'aide puissent faire leur travail, a déclaré Martin Griffiths qui "en appelle à la générosité de la communauté internationale, des gouvernements du monde entier,  pour répondre aux besoins du peuple soudanais qui connaît de telles souffrances et de telles difficultés en ce moment".

Selon les derniers chiffres du Bureau des opérations humanitaires de l’Onu (OCHA), "depuis que la violence a éclaté au Soudan le 15 avril, plus de 334.000 personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays et plus de 100.000 ont fui vers les pays voisins."

L’Onu estime à 402 millions d’euros ses besoins pour aider les 860.000 personnes qui pourraient encore fuir le Soudan d'ici octobre.

Au Darfour, dans l’ouest du pays, des civils ont été armés pour prendre part aux combats.

De son côté, le Secrétaire général des Nations unies a présidé une réunion des chefs de l'ensemble du système des Nations Unies à Nairobi. António Guterres qui a regretté que l’Onu ait "échoué" à empêcher la guerre au Soudan.

Des civils et des hommes armés ont passé la frontière du Soudan vers le TchadImage : Gueipeur Denis Sassou/AFP

Quand la maison de ton voisin est en feu...

Nodjigoto Charbonnel est le lauréat 2022 du Prix Rafto pour les droits de l’homme. Avocat des droits humains, il est aussi, au Tchad, directeur exécutif de l’association Jeunesse pour la paix et la non-violence (AJPNV) et il fait part de l’inquiétude des Tchadiens :

"Nous on dit que dans cette guerre, il n’y aura pas de vainqueur. Seulement des perdants. Des deux côtés. Il n’y a pas seulement des civils, mais aussi des militaires lourdement armés qui ont passé la frontière [tchadienne], donc la situation au Soudan affecte directement N’Djamena. Le temps n’est plus à faire des discours mais à faire pression sur les généraux [soudanais] pour qu’ils viennent à la table des négociations."

Interview avec Nodjigoto Charbonnel sur la guerre au Soudan vue du Tchad

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Nodjigoto Charbonnel cite un proverbe pour résumer la situation : "Quand la maison de ton voisin est en feu, tu dois t'apprêter."

Un ancien chef rebelle du Darfour (Mouvement de libération du Soudan, MLS) qui vit aujourd’hui en exil au Soudan du Sud, appelle les belligérants soudanais à abandonner les combats car, selon lui aussi, "il ne peut y avoir de vainqueur" à cette guerre.

Abdel Wahid Nur a bien connu – et combattu les généraux el-Burhane et Hemedti durant la guerre du Darfour. Deux hommes qui, selon lui, "étaient tous les deux à l'époque le bras armé de la répression de Béchir".

Des pourparlers en cours

En Afrique de l’Est, l’Igad (l’autorité intergouvernementale pour le développement) a ouvert ses canaux diplomatiques.

Le Soudan du Sud fait office de médiateur entre les généraux el-Burhane et Hemedti. Cet Etat n’est indépendant du Soudan que depuis 2011. Et son président, Salva Kiir, a vécu lui-même une guerre avec son rival, Riek Machar. Quoiqu’il en soit, c’est depuis Juba qu’a été annoncée la trêve censée débuter aujourd’hui et courir jusqu’au 11 mai.

 

Mais les deux camps soudanais s’accusent mutuellement de violer chaque trêve jusqu'à présent.

Médiations africaines, entre autres

Néanmoins, le camp du général el-Burhane a fait savoir qu’il allait "nommer un émissaire pour négocier une trêve“, sous l’égide des présidents sud-soudanais, djiboutien et kényan.

L’armée soudanaise affirme vouloir une solution africaine aux problèmes du continent“.
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, allié du général el-Burhane, affirme tout mettre en œuvre "pour que des discussions aient lieu“ entre les deux camps.

L’Union africaine appelle à éviter la dispersion.

Salva Kiir a lui-même connu un conflit avec son rival Riek Machar. Il est désormais médiateur de l'Igad pour le SoudanImage : Brian Inganga/AP Photo/picture alliance

Au Moyen-Orient, l’Arabie Saoudite s’est jointe aux Etats-Unis pour tenter également une médiation. Le royaume saoudien a accueilli hier une réunion de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) sur le Soudan. L’Arabie Saoudite pourrait même accueillir les négociations techniques sur une trêve car elle entretient des relations avec les deux généraux soudanais qui se font la guerre.

Les ministres des Affaires étrangères des pays de la Ligue arabe, très silencieuse depuis le début des hostilités, se pencheront sur la situation au Soudan dimanche prochain.

De l’utilité (ou  non) des sanctions

Pour accélérer la sortie de crise, certains encouragent la prise de sanctions internationales contre les belligérants. Le président américain Joe Biden n’exclut pas cette possibilité, afin de bloquer leurs activités commerciales – notamment le commerce de l’or – et d’entraver leur réapprovisionnement.

De l’avis de Germain-Hervé Mbia Yebega, politologue chercheur au Centre d’Etudes et de Recherche en Paix, Sécurité et Intégration (CERPSI) de l’Université de Maroua, au Cameroun, et au Collège des hautes études de stratégie et de défense (CHESD) à Kinshasa, les sanctions ne sont pas la solution. Selon le chercheur, celles-ci "ne serviront à rien. Ils ont leurs propres réseaux, par le Qatar, le Yémen, Dubaï, les paradis fiscaux.

C’est pourquoi, Germain-Hervé Mbia Yebega préconise “impérativement que le pouvoir soit dévolu aux civils et une refonte globale de l’armée“ dans le cadre de la reconstruction du pays

Il ajoute que pour faire cesser les combats, "il faudrait que tous ceux qui ont des rentes de situation – el-Burhane, Hemedti.. mais ce ne sont pas les seuls – que tous ceux-là ne soient pas frustrés par les décisions qui seront prises. Mais ça prendra du temps.“ D'autant qu'il faudra trouver une reconversion aux combattants désarmés.

Le politologue rappelle toutefois, en forme de lueur d’espoir, que les civils soudanais n’ont jamais relâché leur mobilisation depuis le putsch qui a ramené au pouvoir le général el-Burhane. Et il souligne que le Soudan "est le seul pays en Afrique sous junte militaire dans lequel la société civile manifestait tous les jours pour contester la junte.“

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