Syrie: le pouvoir de nuisance des mercenaires étrangers
22 mai 2025
L'Observatoire des armes explosives s'inquiète, dans son rapport annuel publié ce matin [21.05.25], de ce que le nombre de civils tués par des armes explosives – et notamment des bombardements aériens – était en forte hausse : +60% en 2024. Les deux tiers de ces personnes ont été tuées dans la guerre qui sévit à Gaza ou en Cisjordanie.
Mais la Syrie continue aussi de payer un lourd tribut et le Conseil de sécurité des Nations unies doit se réunir, ce soir encore, pour examiner la situation dans le pays.
Parmi les sources d'insécurité même après le renversement du régime de Bachar al-Assad, il y a la persistance de groupes armés dans le pays. Et notamment du groupe État islamique qui encourage la venue de mercenaires étrangers pour se battre en Syrie.
Campagne de Daech contre Ahmad al-Sharaa
C'est un traître à la cause, un infidèle, un "esclave" qui "rampe" devant Donald Trump.
Dans la dernière édition de son bulletin hebdomadaire, le groupe terroriste de l'État islamique ne mâche pas ses mots à l'encontre du nouveau président intérimaire de la Syrie, Ahmad al-Sharaa, qui a rencontré Donald Trump la semaine dernière.
Les dissensions entre le groupe État islamique et le HTS qu'a dirigé Ahmad al-Sharaa ne sont pas nouvelles. Autrefois, le groupe HTS faisait partie de Daech, avant de se rallier, en 2012-2013, à Al-Qaïda puis de combattre ouvertement le groupe État islamique.
Mais un aspect particulièrement intéressant de la publication du groupe, c'est que Daech appelle les combattants étrangers en Syrie, qui ne soutiennent pas le rapprochement diplomatique avec les États-Unis, à quitter le gouvernement actuel dirigé par al-Sharaa pour rejoindre ses rangs.
Donald Trump a en effet posé comme condition à l'allègement des sanctions américaines que les autorités de transition réclament "à tous les terroristes étrangers de quitter la Syrie".
Qui sont les combattants étrangers en Syrie ?
Il est difficile de savoir exactement combien d'étrangers combattaient aux côtés du HTS. Leur nombre pourrait se situer entre 1 500 et 6 000, de nombreux experts estimant qu'il se situe plus probablement au milieu de cette fourchette.
Le groupe le plus important est composé de Ouïghours, dont beaucoup sont impliqués dans le Parti islamique du Turkistan, originaires d'Asie centrale et orientale, y compris de Chine.
D'autres combattants sont originaires de Russie et d'autres anciens États soviétiques, des Balkans, de France, du Royaume-Uni, de Turquie et de divers pays arabes, notamment.
La plupart d'entre eux sont arrivés en Syrie au début de la guerre civile, en réponse aux appels du groupe État islamique, qui tentait d'y établir un califat. Après la rupture des liens avec l'EI et Al-Qaïda, certains étrangers ont quitté le HTS, tandis que d'autres y sont restés.
Récompense des "frères d'armes"
Fin 2024, au cours de la campagne menée par le HTS pour renverser le dictateur syrien Bachar al-Assad, plusieurs groupes d'étrangers, dont des Ouïghours et des Tchétchènes, ont apparemment joué un rôle essentiel dans le succès de cette opération.
Ahmad al-Sharaa a déclaré qu'ils devraient être récompensés pour leur aide et, en janvier, un certain nombre de combattants étrangers ont été nommés à des postes de haut niveau dans la nouvelle armée syrienne. Une décision qui a suscité de vives critiques.
Aaron Zelin, chercheur au Washington Institute et expert du HTS, estime qu'il est difficile d'estimer le nombre de combattants étrangers au sein des forces de sécurité syriennes actuellement "parce qu'il y a évidemment beaucoup plus de Syriens que d'étrangers".
Mais Aaron Zelin estime que certains groupes sont plus implantés que d'autres, tels que les Ouïghours par exemple, dont un contingent forme une sorte de garde personnelle pour Ahmad al-Sharaa : "Il a confiance en eux, explique le chercheur, il les considère comme des frères d'armes pour avoir combattu contre Bachar al-Assad".
Un Syrien actuellement réfugié en Allemagne a déclaré à la DW avoir rencontré des combattants étrangers lors des combats à Alep. "Certains étaient bons, d'autres moins”, se souvient-il en requérant l'anonymat pour des raisons de sécurité. "Ils étaient très impliqués dans les combats et beaucoup d'entre eux étaient proches de l'idéologie salafiste", ajoute-t-il.
Lui-même ancien combattant, il précise toutefois que nombre de ces étrangers restés en Syrie y ont fondé une famille. Selon lui, il faudrait "leur donner une seconde chance”, d'autant que si les autorités les expulsent, elles devront aussi expulser leurs femmes et leurs enfants.
Quel danger représentent ces combattants étrangers ?
Les combattants étrangers plus radicaux ont été accusés de prendre part aux récentes violences contre les minorités syriennes. Ils ont aussi été accusés de contrôler la tenue vestimentaire des femmes et les comportements sociaux dans les grandes villes syriennes.
Jusqu'à très récemment, le HTS se présentait encore comme un « défenseur de l'islam sunnite », rappelle Orwa Ajjoub, analyste et spécialiste de la Syrie, dans un texte rédigé pour l'Institut italien d'études politiques internationales, en mars 2025. Mais après la chute du régime Assad, le groupe s'est engagé dans une voie plus libérale, constate le chercheur.
"Ce changement brutal de narratif représente un ajustement important pour la base », analyse Orwa Ajjoub. « Cette transition peut s'avérer difficile pour les combattants habitués à un point de vue plus étroit et sectaire. De nombreux combattants du HTS, qui n'ont jamais quitté l'environnement conservateur d'Idlib, sont maintenant confrontés à des communautés moins conservatrices à Damas".
L'appel du groupe État islamique
"Si le HTS poursuit ce retournement idéologique vers une modération relative - comme la tolérance des femmes non voilées, la vente d'alcool et la participation à un processus politique de type occidental [...] des éléments durs au sein du HTS, en particulier des djihadistes étrangers, pourraient opérer des scissions, faire défection ou coopérer avec Daech ou Al-Qaïda", a averti en janvier Mohammed Salih, chercheur principal au Foreign Policy Research Institute, un groupe de réflexion basé à Philadelphie.
Mais Aaron Zelin, du Washington Institute, ne pense pas que les combattants étrangers en Syrie représentent "une menace à grande échelle".
"Ceux qui ont estimé que le HTS n'était plus assez dur pour eux sont probablement déjà partis, fait-il remarquer, et bon nombre des combattants étrangers moins radicaux qui sont restés sont très disciplinés. Depuis des années, Ahmad al-Sharaa tente également de mettre à l'écart, d'arrêter ou d'expulser les combattants étrangers qui s'opposent à la nouvelle orientation du groupe. Même si, bien sûr, des combattants étrangers pourraient, individuellement commettre des crimes ou poser problème".
Mais selon lui, "la principale menace émane des combattants étrangers qui ont déjà rejoint le groupe État islamique, ceux qui continuent à combattre au niveau de rébellions locales dans l'est de la Syrie, tout comme ceux qui sont détenus dans les camps du SDF [des combattants kurdes] dans le Nord-Est".
L'éventualité d'une intégration dans l'armée
Après la rencontre entre Ahmad al-Sharaa et Donald Trump, des rumeurs ont circulé selon lesquelles les forces de sécurité syriennes avaient effectué des raids sur des bases de combattants étrangers, à Idlib. Mais les observateurs locaux disent qu'il n'est pas clair s'il s'agissait simplement de rumeurs, d'une mise en scène à des fins politiques ou si cela s'est réellement produit.
Les membres du nouveau gouvernement syrien ont fait valoir que les combattants étrangers ne représentaient aucune menace pour les autres pays, qu'ils étaient trop peu nombreux pour avoir un impact significatif sur la nouvelle armée syrienne et que, de toute façon, ils étaient loyaux envers la nouvelle administration d'al-Sharaa.
Selon les experts, les intégrer dans les nouvelles forces de sécurité syriennes pourrait en fait être la meilleure façon de les traiter.
Pourtant, comme le conclut Aaron Zelin, "de toutes les demandes formulées par les États-Unis, celle [concernant l'expulsion de ces combattants étrangers] est probablement la plus difficile pour la Syrie."