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"Une succession dynastique, ce n'est pas la démocratie"

12 avril 2023

Interview avec l'opposant tchadien Succès Masra. Il revient sur la répression au Tchad et les raisons de ses critiques de la transition dirigée par Mahamat Déby Itno.

Tschad | Präsidentschaftskandidat | Succès Masra
Image : Blaise Dariustone/DW

Notre invité, ce matin, est l'opposant tchadien Succès Masra. Il vit à l'étranger suite à la répression des manifestations au Tchad, le 20 octobre 2022.

Officiellement, cette répression a fait 73 morts mais l'opposition parle de plusieurs centaines de victimes. Le leader du parti Les Transformateurs accuse les autorités de transition de crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale. Succès Masra vit actuellement aux Etats-Unis pour, dit-il, "porter la voix du peuple tchadien auprès de l'Onu".

Le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a gracié lundi 27 mars,  259 des 262 manifestants condamnés à de la prison ferme après la manifestation du 20 octobre 2022 contre le pouvoir.

Cette interview a été menée avant les tensions diplomatiques entre le Tchad et l'Allemagne qui ont expulsé leur ambassadeur respectif.

Succès Masra dit avoir suggéré à Déby père l'introduction d'un vice-président

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Interview de Bob Barry avec Succès Masra

DW : Vous êtes le leader du parti "Les Transformateurs” au Tchad. Depuis les douloureux événements du 20 octobre 2022, vous vivez à l'étranger. Malgré votre opposition, la transition est en marche. Est-ce que vous allez rentrer dans votre pays pour poursuivre la lutte ?

Succès Masra : Je suis sorti du Tchad, quelques jours après le 20 octobre, afin de porter la voix de mon peuple au niveau international, notamment au niveau des Nations unies. Vue la rupture qui a été consommée au niveau du Tchad et prenant en compte le fait que l'Union africaine, qui était le premier acteur consensuel en charge du dossier tchadien dès le début, s'est embourbée et n'a pas pu trouver une solution à la situation du Tchad.

Lorsque, à un niveau inférieur, il n'y a pas de solution, il faut porter le problème à un niveau supérieur. Surtout que le dialogue que nous, avec les autres acteurs, avons voulu avoir directement avec l'équipe de la junte n'a pas porté ses fruits. Donc, considérant ces aspects, il était indispensable de porter le message de mon peuple à l'international pour espérer, grâce à l'intervention de l'ONU, trouver ce que j'appelle un accord onusien en faveur de la démocratie et la réconciliation nationale. 

Sans cet accord, les deux Tchad qui sont là devant le monde entier risquent d'aller en se divisant davantage et on se retrouverait dans une situation de soudanisation du Tchad, ce qui serait préjudiciable à tout le monde.

Donc oui, je suis sorti pour porter la voix de mon peuple avec l'espoir de retrouver le chemin d'un cadre de justice et d'égalité. Parce que c'est au nom de cela que ce peuple qui est sorti en masse a été massacré - comme vous le savez, plus de 300 personnes tuées, plus de 2.000 arrêtées et déportées et des centaines de personnes portées disparues, des centaines de blessés. 

Donc vraiment, il y a le Tchad d'avant le 20 octobre et celui d'aujourd'hui, je dirais même que nous sommes dans une situation où il y a deux Tchad qu'il faut réconcilier sur la base de la justice et de l'égalité.

DW : Vous ne reconnaissez pas les autorités de la transition. Ce sont elles qui vont tout de même organiser les élections prévues l'année prochaine. Serez-vous candidat à ces élections organisées par ceux-là mêmes que vous qualifiez d'illégitimes ?

Succès Masra : Il y a un engagement que la junte qui est arrivée au pouvoir a pris. Un engagement sur 18 mois devant notre peuple, devant l'Union africaine, devant l'ONU, devant la communauté internationale, notamment vis-à-vis des pays qui ont été des acteurs majeurs dans l'installation de cette junte au pouvoir, en l'occurrence, la France et ses alliés, les Etats-Unis etc. Cet engagement n'a pas été respecté et mon peuple qui est sorti le 20 octobre est un peuple qui exige la justice, l'égalité et le respect de ces engagements.

Quand vous prenez un engagement au nom de l'Etat devant un peuple et que vous ne respectez pas, on ne peut pas vous faire totalement confiance, s'il n'y a pas d'autres éléments de garantie qui sont mis sur la table. Voilà l'enjeu. Et donc, au-delà des questions d'organisation des élections, il s'agit d'abord de créer les meilleures conditions.

Le Tchad n'a pas manqué d'électoralisme. Le Tchad a manqué de démocratie. Il s'agit de dire que les Tchadiens, aujourd'hui, veulent la démocratie et ne veulent pas un plan de succession dynastique.

De nombreux pays, la France en tête, se sont engagés lorsqu'ils ont plaidé et déroulé un tapis diplomatique pour l'acceptation de cette junte, ils se sont engagés à ne jamais soutenir un plan de succession dynastique.

Le 20 octobre à N'Djamena, des feux au milieu d'une rue pendant la manifestation de l'oppositionImage : LE VISIONNAIRE/REUTERS

Aujourd'hui, il y a bel et bien un plan de succession dynastique. Et donc on peut toujours habiller une succession dynastique en élections. Il n'en demeure pas moins : est-ce que cela ramènera la démocratie?

Nous, nous sommes des démocrates, nous sommes des forces prodémocratie et nous nous battons pour que les conditions d'une démocratie soient au rendez- vous. Dès le début, nous étions parmi les rares à dire que nous n'avions même pas d'objection à ce que le chef de la junte puisse participer aux élections, à la seule condition qu'il ne fasse pas comme son père le faisait, c'est-à-dire d'avoir tous les pouvoirs. Aujourd'hui, la Charte lui donne tous les pouvoirs. On est parti d'une si mauvaise charte de quinze généraux à une charte où un seul homme est érigé en institution. 

Le président de la transition est érigé en une transition, en un organe exécutif qui est capable, avec tous les pouvoirs, de nommer le Premier ministre et les membres du gouvernement et les démettre, de nommer et de démettre les membres du Conseil national de transition, de nommer et de démettre ceux qui seront chargés des élections, de nommer et de démettre ceux qui seront chargés d'être au niveau de la Cour suprême pour trancher en matière électorale.

Il faut les trois pouvoirs minima dans une démocratie. Dans un système transitoire, où personne n'est élu et il eût fallu un équilibre et de séparation de pouvoirs afin de garantir les conditions d'une vraie élection. Comme ces éléments ne sont pas au rendez-vous aujourd'hui, aucun système démocratique ne peut être le résultat d'un système qui, en amont, aura donné tous les pouvoirs à un seul homme. Voilà pourquoi nous sommes restés très cohérents en tant que démocrates.

DW : Nous avons bien compris que vous contestez la légitimité de Mahamat Deby. Pourtant, à votre demande, il vous a reçu plusieurs fois. Certains vous accusent de jouer un double jeu.

Succès Masra : Vous savez, d'un côté, on nous avait qualifiés de gens qui n'aimaient pas le dialogue. Tout le monde disait que Les Transformateurs n'aiment pas le dialogue. Et pourtant nous avons dialogué en présence d'un chef d'Etat. L'ancien chef d'Etat, en l'occurrence, nous avons dialogué avec l'implication des chefs religieux. Nous avons dialogué avec l'implication des chefs d'Etat étrangers, de l'Afrique et au-delà de l'Afrique, nous avons été ceux qui étaient parmi les plus engagés en matière de dialogue. Mais pourquoi nous ne nous sommes pas entendus ?

C'est bien parce qu'on nous demande de souscrire à un plan de succession dynastique. 

Mahamat Idriss Deby, président de la transition au TchadImage : Francois Mori/AP/dpa

DW : Mais le président Mahamat Deby vous a reçu en secret, selon plusieurs indiscrétions.

Succès Masra : Bien, écoutez, vous savez, le nombre de rencontres que j'organise au nom de mon peuple, pour l'intérêt de mon peuple, y compris au niveau de l'international ? Vous savez, être un homme d'Etat, c'est tout ça aussi. Saviez-vous que Nelson Mandela, même en prison, discutait avec les gens qui étaient les commanditaires de l'apartheid ?  

Mais est-ce que c'était pour souscrire à un plan d'apartheid ? Évidemment que non. Et donc oui, j'ai discuté avec le chef de la junte dans l'optique de mettre fin à un plan de succession dynastique et de trouver la solution pour un cadre, sur la base de la justice et de l'égalité. Et c'est bien parce que j'ai refusé de souscrire à cela qu'aujourd'hui, nous faisons l'objet de persécution, plus que les gens qui sont armés et qui sont à la tête des mouvements rebelles et qui sont mieux traités que ce peuple-là qui est sorti les mains nues, exiger la démocratie.

Donc oui, j'assume d'avoir discuté pour que le peuple tchadien aille sur le chemin de la démocratie sur la base de la justice et de l'égalité. Ceci montre bien que je suis un acteur qui souhaite dialoguer et qui a toujours privilégié le dialogue d'un côté.

Deuxièmement, nous avons même introduit ce que nous appelons l'éligibilité encadrée, qui consiste non pas à dire inéligibilité pure et simple de ceux qui auront géré la transition, mais une éligibilité encadrée avec des équilibres de pouvoir qui permettront que personne n'ait le monopole et donc personne ne truque les résultats des futures élections. Nous avons toujours privilégié l'intérêt supérieur de notre peuple.

DW : Deby père n'a jamais reconnu votre parti, c'est le fils qui l'a reconnu. Est-ce que ce n'est pas un bon signe ?

Succès Masra : Lorsque vous faites l'objet d'une injustice. Par exemple, si aujourd'hui, vous êtes habillé, vous avez votre chemise et votre pantalon. On vous enlève votre chemise pendant trois ans et on vous la remet. Vous applaudissez ? Non, car on n'aurait jamais dû vous l'enlever.

Donc mettre fin à une injustice, ce n'est pas restaurer la justice. Nous étions totalement un parti politique que Déby père a refusé de reconnaître en introduisant dans la Constitution ce qu'on appelle la clause anti-Masra qui a relevé l'âge pour être candidat à la présidence de 35 à 40 ans afin de nous exclure.

Déby fils est arrivé, il avait moins de 40 ans, mais nous, on nous avait exclu de la possibilité de participer à une élection. C'est la seule fois que cela arrivait dans l'histoire du Tchad. Parce qu'il pensait que nous allions le battre à l'élection. Il a préféré donc changer la Constitution pour nous exclure. 

En fait, on n'aurait jamais dû nous exclure. On n'aurait jamais dû tirer sur les gens, blesser des gens. Moi-même, j'ai reçu des tirs. Il y a eu des arrestations, des blessures et des morts. C'est de l'injustice pure et simple. Donc on nous applique de l'injustice. Voilà la réalité des choses.

DW : Alors, quelques jours après les événements du 20 octobre 2022, le président de la transition, Mahamat Déby, au cours d'une déclaration à la nation, a affirmé que vous lui aviez demandé de vous nommer Premier ministre. Une proposition qu'il a refusée. Est-ce vrai ?

Succès Masra : Je crois que le Premier ministre "d'accompagnement” de cette dynastie a déclaré aussi qu'il y a un pays occidental qui a demandé que je sois nommé Premier ministre. Donc, entre lui qui dit que moi j'aurais demandé à être nommé Premier ministre et son Premier ministre qui dit qu'il y a un pays occidental qui a demandé que je sois nommé à ce poste, vous voyez que c'est la même chose que lorsque l'un d'entre eux parle d'insurrection et de coup d'État, et l'autre de manifestations, d'attroupements et de regroupements interdits pour justifier les massacres du 20 octobre. Ces gens-là ont fait du mensonge leur religion. 

Et donc vous voyez bien que si nous étions dans une démarche personnelle et bien ça se saurait. Sous Déby père, il nous avait déjà été proposé d'être nommé Premier ministre. Mais l'enjeu n'a jamais été ma personne. 

DW : Et s'il vous avait nommé, auriez-vous accepté ?

Succès Masra : L'enjeu n'a jamais été ma personne. Vous savez, moi, j'ai démissionné de la Banque africaine de développement pour m'engager au Tchad. J'avais tout. D'abord, contrairement peut-être à beaucoup de gens, je suis engagé en politique pour servir, pour prôner le leadership serviteur.

Regardez la tête des gens qui dirigent le gouvernement ou qui sont dans les différentes responsabilités au Tchad, personne ne se doute que moi je n'ai pas les compétences ou les possibilités de le faire. Je ne me suis jamais inscrit dans une démarche personnelle. C'est d'abord une démarche globale pour l'intérêt de notre pays.

Pour eux, seul un militaire peut diriger le Tchad et Déby fils serait le soldat le plus fort, comme son père l'a été. Donc, il faut l'accompagner parce que l'armée est clanique et qu'il n'y aura pas de réforme de l'armée, il y aura aucune élection crédible. Ainsi, ils ont choisi plutôt des gens dont l'objectif premier c'est d'accompagner cette dynastie. 

Nous ne sommes pas des accompagnants de la dynastie, nous sommes des défenseurs de la démocratie dans la justice et d'égalité. Voilà la différence entre notre vision de ce que doit être la politique, c'est-à-dire au service des citoyens et des citoyennes.

DW : Toujours selon le président de la transition, vous lui auriez également proposé un ticket en vue de la prochaine élection présidentielle, lui président, et vous vice-président. Confirmez-vous cette information ?

Succès Masra : Absolument pas. Le Tchad est dans une situation de diversité. Il y a 50% de chrétiens et 50 % de musulmans. Exactement comme au Nigeria. Et donc introduire un ticket présidentiel, c'est une proposition qui fait partie des 20 propositions pour un nouveau départ dès 2020 que nous avons mises à la table, y compris sous Déby père et dont nous avons discuté avec lui.

C'est d'ailleurs, cherchant à prendre en compte cette proposition, que la Constitution qui a été jetée par la junte avait introduit un poste de vice-président nommé. Et lorsque nous avons rencontré le président Déby père, nous lui avons dit que l'idée d'un vice-président était une bonne idée, mais pas un vice-président nommé. Il faut un ticket présidentiel pace que le Tchad est divisé sur la base de la religion, sur la base nord/sud, etc. 

La meilleure manière d'unir ce peuple, c'est de faire en sorte que les Tchadiens choisissent un ticket de diversité et d'unité nationale. Ce sujet a été discuté avec Déby père. Ce n'est pas une nouvelle proposition. A cela, nous avons ajouté l'élection des gouverneurs afin que, quelle que soit la forme de l'Etat, le gouvernement soit élu parce qu'aujourd'hui 90 % des gouverneurs qui sont nommés viennent d'une seule partie du pays. Ils se comportent comme des colons dans certaines régions du Tchad. Il faut mettre fin à cela en faisant élire les gouverneurs. 

Nous avons ajouté une troisième et dernière proposition. Il s'agit d'avoir ce que j'appelle un Haut-commissariat à la diversité dans les nominations à des postes civils, militaires et diplomatiques.

Ceci nous permettra d'arrêter ce qu'on appelle, aujourd'hui, le remplacement numérique qui, en réalité, est une sorte de dynastie étendue où lorsque le président meurt, son fils le remplace, des ministres à la retraite sont remplacés par leur fils, des généraux à la retraite sont remplacés par leur fils. Et généralement c'est dans une même famille, dans une région. (...)

Mais aujourd'hui, par exemple, dans l'équipe chargée de la transition, 90 % des gouverneurs prient de la même manière, 90 % des ambassadeurs prient de la même manière, le président, son Premier ministre, celui de l'Assemblée nationale, celui de la Cour suprême, celui chargé des élections, le ministre de la Justice, de la Défense, de la Sécurité, des Affaires étrangères, tous viennent d'une même partie du pays ou presque. Cela crée des sentiments d'exclusion.

Ces propositions sont des propositions qui datent. Et d'ailleurs, le président m'a confié lui-même en avoir discuté avec un certain nombre de chefs d'Etat.

Moi aussi j'en ai parlé avec un certain nombre de chefs d'Etat et il est d'accord sur le principe. Il s'agissait de me proposer d'accepter de rentrer dans un ticket présidentiel à la tête duquel il aurait figuré et à ce moment-là, il voulait introduire cette idée dans la future Constitution. J'ai refusé. Parce qu'une Constitution est une règle de caractère général.

Donc, je persiste et j'insiste encore sur ces éléments qui ne datent pas de lui, qui datent de son père, pour que l'unité du Tchad soit préservée.

Je suis profondément disposé à travailler pour l'unité du pays. C'est pour ça que je mets sur la table ces propositions qui sont des propositions d'unité nationale et de diversité dans la justice et l'égalité.

Des manifestants à Moundoum dans le sud du Tchad, le 20 octobre 2022Image : Hyacinthe Ndolenodji/REUTERS

DW : Alors comment comprenez-vous qu'on vous accuse de susciter des idées sécessionnistes du Sud ?

Succès Masra : C'est comme quand on accusait Nelson Mandela d'être communautariste parce qu'il se battait pour la dignité humaine. On lui disait qu'il se battait pour les Noirs d'Afrique du Sud. C'est comme quand on accusait Martin Luther King, quand il se battait pour la dignité de la personne humaine. On l'a accusé d'être un communautariste qui se battait pour les Noirs aux Etats-Unis. 

Vous êtes en Allemagne. Ceux qui se levaient pour le respect de la dignité des Juifs en Allemagne étaient considérés comme des communautaristes qu'il fallait abattre. Je me bats pour la dignité de tout le peuple tchadien, du nord au sud, de l'est à l'ouest, des chrétiens, des musulmans. Je me bats pour la dignité de tous les Tchadiens, y compris les gens venant du sud et les chrétiens. 

La réalité c'est que 90 % - et je l'ai introduit au niveau de la Cour pénale internationale - des 2.000 Tchadiens arrêtés, des plus de 300 tués, des plus de 600 blessés, des plus de 200 portés disparus le 20 octobre sont des chrétiens.

DW : Selon votre propre bilan… 

Succès Masra : Ils sont du sud Tchad. Leur patronyme l'indique, les endroits où ils ont été enterrés dans le cimetière, les quartiers qui ont été ciblés etc. Qui fait cela ? C'est bien la junte qui est en train de massacrer une partie de la population à cause de leur religion, de leur patronyme et de leur origine.

Moi, je me bats plutôt pour l'unité et c'est pour ça que je mets sur la table les propositions qui vont permettre à ce que le peuple soit uni sur la base de la justice et de l'égalité. Vous voyez bien que ce sont les bourreaux qui veulent se faire passer pour les victimes.

DW : Revenons sur les événements tragiques du 20 octobre dernier. Depuis ces événements, je le disais, vous vivez à l'étranger. Pourquoi n'avoir pas fait comme Ousmane Sonko au Sénégal, par exemple, à savoir affronter la justice de votre pays si vous ne vous reprochez rien ?

Succès Masra : Je vous ai expliqué que je suis sorti du Tchad pour porter la voix de mon peuple. Je suis venu aux Etats-Unis parce que c'est, ici, à New York, que se trouve le siège des Nations unies. Donc je suis venu à New York pour parler de la situation du Tchad, pour que les Nations unies s'impliquent afin de résoudre le problème du Tchad. Deuxième chose, je n'ai pas demandé l'asile politique. Et je n'entends pas demander l'asile politique. 

Mais, vous savez bien, qu'il faut comparer ce qui est comparable, mon ami Ousmane Sonko, à qui d'ailleurs je transmets là ma solidarité la plus totale - m'a dit souvent, qu'il ne vit même pas 1 % de ce que moi j'ai vécu au Tchad. Vous savez, moi on est venu le lendemain de la marche du 20 octobre, le 21 octobre, au siège de mon parti, pour me chercher. Et comme ils ne m'ont pas trouvé, ils ont arrêté 27 personnes. 

De même, mes gardes du corps, mes agents de sécurité et 23 parmi eux ont été zigouillés et leurs corps jetés dans le fleuve. Est-ce que vous avez vu ça au Sénégal ? 

Je vous parle de 300 personnes qui ont été assassinées sur la base de leur religion, de leur croyance, de leur opinion. Est-ce que vous avez vu ça au Sénégal ? Donc, vous savez, moi, j'ai fait face à cela au Tchad.

DW : Alors envisagez-vous un jour une alliance avec Mahamat Deby? Surtout que vous avez pratiquement le même âge ?

Succès Masra : Le debyisme, nous l'avons déjà vécu. Ce que nous souhaitons, c'est la démocratie sur la base de la justice et l'égalité. Et il n'y a pas de délit de patronyme.

Vous savez, au moment où toutes les chancelleries disaient qu'il ne pouvait pas être candidat et que c'était non négociable, au moment où lui-même il s'est engagé à ne pas être candidat et qu'il nous a juré la main sur le cœur, nous, nous avons dit qu'il peut être candidat à travers ce que nous appelons une éligibilité encadrée.

 Au moment où on nous disait qu'il est horrible, qu'on ne peut pas discuter avec lui, nous avons été capables de discuter avec lui. Vous voyez, nous, nous avons souvent fait l'objet d'exclusion. On nous a exclus sur la base de l'âge. On nous a empêchés d'avoir notre parti pendant trois ans, on a tué nos militants. Mais malgré cela, nous n'avons pas de haine dans notre cœur et notre disponibilité totale de travailler avec l'ensemble des Tchadiens, y compris lui-même reste intacte.

Mais sur la base de la justice et de l'égalité, s'il est tenté pour installer la dynastie, la seule chose qu'il a à faire c'est de tuer tous les Tchadiens nous y compris.

Nous allons mettre fin à la dynastie, par tous les moyens, pour installer la démocratie. S'il se trouve de ce côté-là, il nous trouvera comme un allié, comme un ami, comme un frère. S'il se trouve du côté de la dynastie, il aura déclaré la guerre. Et alors, pour nous, nous ne devons jamais laisser l'obscurité de la dynastie vaincre la lumière de la démocratie sur la base de la justice et de l'égalité. Voilà ce que nous mettons sur la table.

Et s'il y a d'un côté, ceux qui veulent accompagner la dynastie. Eh bien, ils doivent se mettre d'un côté et nous qui voulons la démocratie indépendamment de la religion, des régions d'où nous venons seront de l'autre côté. Donc, c'est soit la réunification du Tchad sur la base de la démocratie donc de la fin de la dynastie ou soit c'est la consécration des Tchad où il y aura ceux qui veulent la dynastie et de l'autre ceux qui veulent la démocratie. 

Voilà le projet que nous mettons sur la table. Voilà notre détermination et notre engagement. Nous avons la confiance du peuple tchadien et nous irons jusqu'au bout.