Les présidents africains n'aiment pas les seconds tours
2 décembre 2020Au Burkina Faso, les partisans du président sortant burkinabè Roch Marc Christian Kaboré tablaient sur une victoire de leur leader au premier tour. Le "coup K.O." comme on l'appelle aussi. Ils y sont parvenus avec plus de 57% des suffrages exprimés.
"Je ne vois pas où est le problème", réagit Ablassé Ouédraogo. Candidat à ce scrutin, il a salué la victoire au premier tour du président sortant.
"De toute façon, on dit qu'il est difficile d'organiser des élections et de les perdre. Et mieux, les peuples ont peur des changements", souligne l'ex-candidat.
Ainsi, depuis plusieurs décennies, le Burkina Faso n'a plus connu de second tour lors du scrutin présidentiel.
Même chose pour le Tchad depuis 1996, lorsque le président Idriss Déby avait été mis en ballotage par les candidats de l'opposition. En 2020, le Togo, la Côte d'Ivoire et la Guinée ont vu aussi la victoire des sortants dès le premier tour.
Pas de projet de société ni de vision
Pour la politologue et analyste politique Nadia Nata, les victoires au premier tour constituent un problème si le taux de participation est bas ou si le système électoral a été vicié, comme on le voit avec l'introduction des parrainages au Bénin.
Elle explique que le manque de l'offre politique en Afrique explique les victoires au premier tour.
"Nous avons malheureusement des pays où l'opposition n'a pas une réelle offre politique, en termes de projet de société, de vision à vendre aux citoyens", affirme Nadia Nata.
"Ensuite, elle est désunie. Ça fragilise les positionnements en face d'un candidat qui est déjà au pouvoir et qui est suffisamment fort du fait d'être au pouvoir", poursuit la politologue.
En effet, le président a un bilan à défendre et peut s'appuyer sur l'administration puisqu'il reste en fonction pendant la campagne électorale, à l'exception toutefois du cas de Madagascar.
La désunion de l'opposition profite au président sortant
Le président sortant peut parfois profiter de la faiblesse des institutions impliquées dans l'organisation de l'élection, selon Nadia Nata qui ajoute que l'union de l'opposition est toujours une menace pour le pouvoir lors d'un second tour.
Mais sur le continent, l'opposition avance souvent en rangs dispersés, ce qui a favorisé une victoire par exemple au premier tour à plus de 59% d'Alpha Condé en Guinée.
"Ce n'est parce qu'il y a deux tours ou quatre tours", estime Papa Koly Kourouma, ministre d'Etat et soutien du président guinéen. Selon lui, ce sont les résultats qui importent.
En ce qui concerne l'élection d'Alpha Condé, "ce sont les populations qui se sont exprimées dans les urnes et ce sont les résultats de ces urnes qui l'ont déclaré vainqueur. Tous ceux qui ont voté pour lui sont confortés et nous qui l'avons accompagné, nous sommes confortés", se félicite Papa Koly Kourouma.
D'autres coups K.O. à venir ?
D'autres pays africains se lancent encore dans un scrutin présidentiel : le Ghana, le 7 décembre, suivi du Niger et de la Centrafrique le 27 décembre. Puis ce sera l'Ouganda en janvier, suivront enfin le Congo-Brazzaville, le Tchad et le Bénin.
Le journaliste Louis Magloire Keumayou redoute ainsi une "tendance lourde" des victoires au premier tour.
"Le modèle, c'est que lorsque l'élection est organisée, le président sortant doit l'emporter dès le premier tour. C'est l'exception à cette règle-là qui ferait tache."
D'après la politologue Nadia Nata, une victoire au premier tour permet certes de faire des économies et d'éviter des violences éventuelles lors des campagnes électorales.
Mais selon cette analyste politique, "ce ne sont pas des raisons et cela ne devrait pas constituer des excuses pour manipuler le jeu électoral en vue d'un seul tour".