Touadéra fait les yeux doux à Moscou sans oublier Paris
17 janvier 2025Selon plusieurs observateurs, le président Faustin-Archange Touadéra, perçu comme le maillon fort de la présence militaire russe en Afrique centrale, joue un double jeu. Ainsi, après avoir scellé un "partenariat conscrutif" en avril 2024 et relancé les relations entre Bangui et Paris, le chef d'État centrafricain est de nouveau à Moscou chez son allié russe, Vladmir Poutine.
Maintien au pouvoir
Karl Blagué, coordinateur national du G16, le groupe d’action de la société civile pour la défense de la Constitution, estime que le président Touadéra est dans un jeu de calculs géopolitiques entre la Russie et les capitales occidentales pour rester au pouvoir.
Selon M. Blagué, "M. Touadéra est un grand calculateur et il joue un jeu très dangereux. D’un côté, il a besoin de la Russie pour garder son fauteuil présidentiel malgré les nombreuses exactions et les nombreux crimes commis par les mercenaires de Wagner et, en échange, il a donné gratuitement beaucoup de sites miniers, d’or, de diamants et même de bois à des sociétés fictives russes."
Et comme Moscou ne verse pas d’argent frais aux autorités de Bangui, le président Touadéra passe par la France pour lui accorder l’aide budgétaire. C’est dans ce cadre que le président a effectué un voyage à Paris, début octobre 2024.
Le réchauffement des relations entre l’Élysée et le palais de la Renaissance a permis l’octroi de 10 millions d’euros, soit plus de six milliards de francs CFA, assorti d’une demande adressée à l’Union européenne d’aider la Centrafrique à organiser des élections inclusives.
Un soutien critiqué par l'opposition
Ce soutien du président Emmanuel Macron à Faustin-Archange Touadéra devrait permettre à la France d’avoir accès à l’uranium de Bakouma dont Areva, le géant français du nucléaire, a perdu le permis d’exploitation. C’est du moins ce que pense l’opposant centrafricain Jean-Pierre Mara :
"Il y a la démarche selon laquelle ce sont des indiscrétions qui se racontent. Il fallait l’amadouer pour qu’il permette quand même que la France remette pied peut-être à Bakouma, qui est le site d’uranium non exploité en République centrafricaine", dit l'ex-député.
L'opposant centrafricain dénonce, par ailleurs, la pression exercée par l'Union européenne afin que les partis politiques de l'opposition aillent aux élections alors que ceux-ci rejettent l'ANE, (Agence nationale des élections) et ses démembrements dans leur forme actuelle. L'organe chargé des élections utiliserait des machines commandées de Russie.
"Donc, aujourd'hui, l'Union européenne fait pression sur l'opposition centrafricaine pour participer aux élections locales, alors que nous nous sommes dit : tant qu'il y aura des Russes qui garantissent tout, qui maîtrisent tout, il n'y aurait pas d'élections transparentes", selon Jean-Pierre Mara.
Une présence militaire russe sanglante
Depuis la fin de l’opération française Sangaris, en 2016, de la Centrafrique et le déploiement des supplétifs russes de Wagner, la Centrafrique est devenue un véritable laboratoire expérimental des activités militaires russes en Afrique au sud du Sahara, malgré la présence de la mission de l’ONU pour la stabilisation de la RCA avec ses 17 885 hommes déployés dans le pays.
Officiellement, le voyage du président Touadéra en Russie s'inscrit dans le cadre des discussions de développement de la coopération bilatérale dans les domaines politique, commercial, économique et humanitaire.
Mais de nombreux Centrafricains estiment qu'avec la levée de l'embargo sur les armes par le Conseil de sécurité, Moscou pourrait aussi en profiter pour vendre d'importantes quantités d'armes à Bangui.
Fin novembre, le président russe Vladimir Poutine et son homologue centrafricain avaient déjà discuté au téléphone d'un "renforcement" de la coopération sécuritaire entre leurs deux pays.