Srebrenica, le génocide oublié
11 juillet 2025
En juillet 1995, il y a 30 ans, l'armée serbe de Bosnie a tué plus de 8.000 musulmans bosniaques.
Cette tuerie, connue sous l'appellation de "massacre de Srebrenica", est l'un des chapitres les plus sombres de la guerre qui a suivi l'éclatement de la Yougoslavie, entre 1992 et 1995. Elle est considérée comme un génocide par les Nations unies et comme le pire crime commis en Europe depuis 1945.
A l'époque, le monde s'est contenté d'assister à ce massacre et aujourd'hui encore, les commémorations ne sont pas à la hauteur de l'horreur vécue par les victimes et leurs proches.
Des témoignages au présent
En juillet 1995, les troupes serbes de Bosnie sont conduites par le général Ratko Mladić. Elles pénètrent dans l'enclave de Srebrenica, pourtant sous protection des Nations Unies, et y tuent des milliers de civils.
Les images des jours qui suivent circulent quasi instantanément dans le monde entier. On y voit des milliers de personnes qui tentent de se réfugier sur la base onusienne de Potocari, des femmes, des enfants, des hommes séparés par les violences.
Quelques jours avant le massacre, des messages désespérés ont été envoyés sur des radios amateurs en provenance de Srebrenica. Pendant le génocide lui-même, les premiers survivants ont témoigné des marches de la mort, des chasses à l'homme et des atrocités commises dans les forêts alentours.
Le silence coupable du reste du monde
La dimension des crimes commis à Srebrenica n'a pas été connue tout de suite. Mais dès juillet 1995, il était clair que ces massacres représentaient un point culminant dans la politique de nettoyage ethnique ordonnée par les dirigeants serbes en Bosnie.
Le reste du monde s'est tu, alors même que les Européens célébraient l'anniversaire de la fin de la Seconde guerre mondiale en prônant une culture de la mémoire placée sous le signe du "Plus jamais ça !".
Souvenir à Potocari
Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont attendues pour les commémorations du massacre de Srebrenica, prévues au mémorial de Potocari. Le cimetière renferme les restes de plus de 7.000 des 8.372 victimes identifiées du massacre.
Le nom même de Srebrenica est entaché de ce génocide, confirmé plusieurs fois par le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).
L'année dernière, l'assemblée générale de l'Onu a décrété que le 11 juillet serait dorénavant la journée internationale en mémoire des victimes de Srebrenica et reconnu qu'il s'agissait bien d'un génocide.
Le négationnisme de l'Etat serbe
Mais en Serbie et en Republika Srpska - l'une des deux entités de Bosnie-Herzégovine et la partie du pays où se trouve Srebrenica – le déni et la relativisation sont toujours la ligne officielle. Alors même que ce sont les dirigeants serbes qui ont planifié et mis à exécution ce génocide.
En 2010, le Parlement serbe a certes adopté une déclaration présentant des excuses pour le crime de Srebrenica, mais sans utiliser le terme de "génocide". Depuis, la politique serbe a même reculé sur la question, sous l'impulsion du président Aleksandar Vucic.
En 1995, Aleksandar Vucic était ministre de l'Information du dictateur serbe Slobodan Milosevic. Le 20 juillet 1995, il a déclaré au Parlement de Belgrade, alors que le génocide était encore en cours, que "pour chaque Serbe tué, on tuerait cent musulmans [bosniaques]". Des propos pour lesquels il n'a jamais présenté d'excuses.
Aleksandar Vucic affirme aujourd'hui que "toutes les parties ont souffert" dans les guerres de Yougoslavie, mais que seuls les Serbes ne sont pas reconnus comme victimes.
En Republika Srpska, le président Milorad Dodik a nommé une commission dirigée par un chercheur israélien controversé spécialiste de l'Holocauste : Gideon Greif. Celui-ci a nié le génocide de Srebrenica dans un rapport publié en 2021 et il a fortement mis en doute le nombre de victimes.
Le visage de Ratko Mladic, condamné pour crimes de guerre, est aujourd'hui très présent en Republika Srpska et en Serbie. On le voit sur des graffitis, des peintures murales, des affiches et des photos - il est considéré aujourd'hui comme un héros par de nombreux Serbes.
Chaque année, les Serbes nationalistes défilent devant le mémorial par convois entiers de voitures. Ils klaxonnent ou jouent de la musique nationaliste à plein volume, à l'occasion de différents jours fériés et commémoratifs serbes.
Au début des années 2 000, des survivants qui pouvaient enfin enterrer leurs proches se sont fait cracher dessus par des nationalistes serbes, sans que la police n'intervienne.
Tous les maires serbes de Srebrenica après 1995 ont nié le génocide d'une manière ou d'une autre. L'actuel maire Milos Vucic considère sa victoire électorale en octobre 2024 "également comme une réponse à la résolution de l'Onu", adoptée quelques mois auparavqnt.
Une autre voix a rejoint les négationnistes du génocide de Srebrenica : celle du dirigeant hongrois Viktor Orban. Son pays a été le seul, aux côtés de la Serbie et de la Russie, à voter contre la résolution onusienne de juillet 2024. Et le seul Etat membre de l'UE à se prononcer de la sorte.
En juillet 2021, le Haut Représentant de la Communauté internationale pour la Bosnie-Herzégovine, Valentin Inzko, a présenté un projet de loi qui pénalise la négation du génocide de Srebrenica. Mais c'est seulement en mai 2025, soit quatre ans plus tard, que la justice a condamné quelqu'un pour négationnisme de ce génocide.
Des excuses une seule fois
Au sein de la communauté internationale, seul le gouvernement néerlandais a présenté de véritables excuses pour sa part de responsabilité dans Srebrenica, c'était en juillet 2022. Il a demandé pardon à toutes les victimes et à tous les survivants du génocide pour le fait que "la communauté internationale n'[ait] pas fourni une aide adéquate aux habitants de Srebrenica".
Les historiens estiment qu'à l'été 1995, la communauté internationale était pourtant au courant des plans concrets d'épuration ethnique en Bosnie orientale. Les dirigeants d'alors les auraient tacitement acceptés comme le prix à payer pour que les négociations de paix aboutissent, en sous-estimant sans doute l'ampleur du génocide.
Les Bosniaques de 2025
Pour les musulmans bosniaques, la commémoration du génocide de Srebrenica fait partie intégrante de leur identité nationale. Cependant, leurs responsables politiques se contentent la plupart du temps de se rendre au mémorial de Potocari le 11 juillet, pour assister aux commémorations.
La plupart des survivants du génocide vivent dans des conditions modestes, parfois très marginalisées. Seules les femmes rescapées, qui n'ont plus de parents masculins survivants, reçoivent une aide de l'État. Les autres victimes n'ont pas de statut légal de survivants et n'ont jusqu'à présent jamais reçu d'aide de l'État, ni matérielle ni psychologique.
La force du symbole
Sur le plan symbolique, l'une des souffrances de ces rescapés est de constater que Srebrenica n'a toujours pas trouvé de place fixe dans la culture européenne du souvenir, même 30 ans après le génocide et malgré la résolution de l'Onu de 2024.
La Journée européenne de commémoration des victimes de tous les régimes totalitaires et autoritaires en est un exemple. Depuis 2009, elle est célébrée dans l'UE le 23 août, jour de la signature du pacte de non-agression entre Hitler et Staline, en 1939.
La Commission européenne publie chaque année un communiqué à cette occasion. Jusqu'à présent, elle n'a pas mentionné une seule fois Srebrenica dans cette déclaration.