Un émoi qui occulte les problèmes du Nigeria
16 mai 2014die tageszeitung tout d'abord rappelle à ses lecteurs comment est née l'organisation terroriste. Il est tentant, écrit le journal, de voir en Boko Haram un groupe d'islamistes illuminés, mais ce serait une erreur. Depuis sa création il y a dix ans, Boko Haram a cessé d'être une petite secte radicale pour se transformer en une puissante armée de guerre civile. Le groupe est né à Maiduguri, la grande métropole commerciale du nord-est du Nigeria, lieu de rassemblement de chômeurs sortis des écoles coraniques et radicalisés par des prédicateurs fondamentalistes. Le journal rappelle aussi que lors de l'assaut donné en 2009 contre le quartier général de Boko Haram à Maiduguri, les forces de sécurité ont tué son leader de l'époque, Mohammed Yussuf, et avec lui entre 1 000 et 5 000 civils.
La campagne pour la libération des lycéennes, note le Tagesspiegel de Berlin, est devenue entre temps une campagne américaine - avec ses propres objectifs. Aux Etats-Unis l'opinion publique réclame une intervention militaire américaine pour sauver les jeunes filles. Cette solidarité américaine, poursuit le journal, suscite au Nigeria un scepticisme grandissant, d'aucuns y voient une nouvelle forme de colonialisme. Le risque est grand que la perception, extrêmement simplifiée du conflit au Nigeria ne se schématise encore plus. A Abuja les médias occidentaux mettent la pression sur le gouvernement nigérian, ce dont la plupart des Nigérians sont reconnaissants, car leurs gouvernants ont l'habitude de se soustraire à toute critique. Les médias nigérians, souligne le journal, ont regardé de plus près l'origine du drame: Chibok. C'est ainsi que le journal en ligne "Premium Times" évoque une région délaissée dans l'Etat de Borno. Une région qui se distingue par deux faits inhabituels: les gens ne parlent qu'une seule langue, à savoir le chibok précisément, et c'est la seule région dans l'Etat de Borno peuplée majoritairement de chrétiens.
Faillite de l'Etat nigérian
Les journaux pointent aussi du doigt l'incapacité de l'Etat nigérian, non seulement à retrouver les jeunes filles, mais aussi à venir à bout de Boko Haram. Le Nigeria , écrit le Handelsblatt, est en train, depuis longtemps déjà, de détrôner la Somalie comme Etat le plus violent du continent. Depuis le début de l'année, 2000 personnes ont péri sous les coups de Boko Haram. Mais il aura fallu attendre l'enlèvement de près de 300 lycéennes, et la totale indifférence manifestée par l'armée et le gouvernement au sort de ces jeunes filles, pour que la communauté internationale tourne ses regards vers le Nigeria. Le kidnapping des adolescentes est le paroxysme provisoire d'une évolution qui a commencé il y a cinq ans et qui a fait que des régions entières du nord musulman échappent au contrôle du gouvernement central. Ni l'état d'urgence ni la dernière offensive militaire contre les islamistes n'y ont changé quoi que ce soit. Au contraire: bien qu'un cinquième du budget de l'Etat nigérian soit affecté à la sécurité, la situation empire. Nombre d'experts présument que l'explication est à chercher dans le fait que généraux, hommes d'affaires et gouverneurs s'enrichissent massivement sur les fonds destinés à la lutte anti-terroriste.
La Süddeutsche Zeitung relève que dans l'émoi suscité actuellement par cette affaire de jeunes filles enlevées, on en vient à oublier que le théâtre du drame se situe dans un pays riche. Le gouvernement nigérian a lui même proclamé peu de temps avant l'enlèvement des lycéennes que le pays était devenu la première économie du continent, et avait même dépassé l'Afrique du Sud. Mais souligne le journal, tant que la richesses pétrolière du Nigeria n'arrivera pas dans le nord-est du pays, il ne faudra pas s'étonner que des bandes de tueurs comme Boko Haram, avec leurs messages d'une grotesque simplicité, recrutent des adeptes et fassent régner la terreur.
Crise économique en Afrique du Sud
L'Afrique du sud dépassée par le Nigeria en termes économiques - c'est vrai si l'on compare les produits intérieurs bruts et d'après les chiffres de la Banque mondiale. La manne pétrolière du Nigeria y est pour beaucoup. Mais il est vrai aussi que l'économie sud-africaine est en train de fléchir. La presse se fait l'écho de cette évolution.La Frankfurter Allgemeine Zeitung brosse effectivement un tableau assez sombre de l'économie sud-africaine: officiellement le taux de chômage est de 25%, officieusement 40%. Le gouvernement fait face à un mécontentement grandissant par des programmes sociaux à répétition qui font que l'endettement de l'Etat atteint maintenant 44% du PIB. La crise économique mondiale, note le journal, a gravement pénalisé les exportations. Mais d'autres raisons sont d'ordre intérieur: entre autres les grèves sauvages dans le secteur minier ou la faillite du système scolaire public qui met sur le marché des jeunes non qualifiés, et donc sans espoir de trouver un emploi. Que peut faire Jacob Zuma? demande le journal. L'arme miracle se nomme "Plan national de développement". Il a été élaboré par l'ancien ministre des finances Trevor Manuel et le vice-président de l'ANC Cyril Ramaphosa. Il prévoit 11 millions d'emplois nouveaux dans les vingt prochaines années, grâce entre autres à des investissements massifs dans les infrastructures, des allègements fiscaux pour les entreprises et un assouplissement de la très rigide législation du travail. Ce plan, souligne le journal, est tellement libéral qu'il pourrait sortir tout droit de la plume de l'Alliance démocratique, le principal parti d'opposition. Or Zuma ne peut ignorer ni les syndicats ni l'aile gauche de l'ANC. Il y a donc fort à parier, estime le journal, qu'il préfèrera continuer comme jusqu'à présent.