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"Vous devez partager le pouvoir" - Leila Zerrougui sur la DW

18 novembre 2020

Dans une interview exclusive, la responsable de la Monusco en RDC revient sur les violences dans le pays et les problèmes politiques qui minent le plus haut sommet de l'Etat.

Eric Topona et Leila Zerrougui
Leila Zerrougui assure que le mandat de la Monusco sera prolongé en décembreImage : DW

Politique, sécurité, mais aussi économie ou santé : la représentante spéciale et Chef de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo, Leila Zerrougui, a donné son point de vue sur de nombreux sujets concernant la RDC ce mercredi, en interview sur la DW. 

Une interview alors que la crise politique entre les partenaires au pouvoir occupe le devant de la scène politique depuis des semaines, et que l'est du pays est toujours en proie à des attaques régulières. 

DW : Que vous inspirent ces tensions entre le FCC et CACH ?

Leila Zerrougui : D'abord je situe les événements dans le contexte de la RDC. Les adversaires politiques qui deviennent partenaires, ce n’est pas évident. Même dans des pays solides, habitués aux transitions. Je pense qu'il y a aussi le fait que l'on n'est pas habitué à partager le pouvoir depuis l'indépendance. On gouverne seul, soit on prend le pouvoir par la force, soit on en tient par la force.

DW : Vous avez initié une médiation il y a quelques semaines, pour rapprocher les vues des deux partenaires Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. On en est où dans cette médiation ?

Moi, je fais mon travail tout le temps. C'est mon boulot. Je suis ici pour aider la RDC à se stabiliser, pour l'aider à passer ce cap des difficultés dans la gestion d'une expérience nouvelle, pour maintenir cette expérience, la répéter plusieurs fois pour après tourner la page de l'instabilité et l'inquiétude, de l'implosion ou de l'explosion à chaque élection. Mon travail, c'est de dire aux deux partenaires que vous avez intérêt à régler vos problèmes politiques à travers le dialogue, à travers les échanges de vues et les concessions de part et d'autre. Dans ce genre d'exercice, vous devez avoir d'autres institutions qui rappellent à chacun les barrières et les limites de son rôle. Avoir aussi une justice forte, des mécanismes de contrôle... On est dans la construction de ces processus.

DW : Quand avez-vous rencontré Joseph Kabila et Félix Tshisekedi ?

Leila Zerrougui : Je les rencontre régulièrement, ce sont des partenaires. Je rencontre régulièrement le président parce que je travaille avec lui, ce qui est normal. (...) Je ne me suis pas mêlé depuis que le président a lancé les consultations nationales dans la mesure où le président a lancé cette initiative. Pour le moment, il ne nous a pas fait appel. Mais je continue à parler à tous et à faire passer un message : la RDC ne peut pas se permettre une crise qui va entraîner encore une situation dramatique, alors que nous vivons déjà une crise sanitaire qui a des conséquences sur le plan économique. Nous avons les tensions et les problèmes et la crise sécuritaire à l'Est. (...) Nous, on n'est pas en train de dire "vous devez rester ensemble, vous devez partager le pouvoir". Ça ce n'est pas mon rôle.

DW : Est-ce que vous redoutez un divorce entre les deux alliés qui aura pour conséquence la dissolution de l'Assemblée nationale et du Sénat ?

Leila Zerrougui : Je sais que les personnes à qui je parle des deux côtés souhaitent que, quelles que soient les divergences, on n'arrive pas à une crise institutionnelle majeure qui peut entraîner le pays dans une situation grave.

Les tensions entre l'actuel président Félix Tshisekedi (à gauche) et l'ancien, Joseph Kabila persistent

DW : Vous ne regrettez pas de ne pouvoir empêcher les violences dans le pays ?

Leila Zerrougui : Je pense qu'on fait beaucoup. Même les FARDC font beaucoup. Le problème, c'est quand vous avez des groupes armés qui sont intégrés dans les communautés. La majorité des groupes armés congolais en particulier, ils sont dans les communautés.

DW : C'est une guerre asymétrique, en quelque sorte, non ?

Leila Zerrougui : Ce n’est même pas une guerre, vous savez, c’est des milices. La présence et la perpétuation de ces phénomènes sont liées à l'absence de l'autorité de l'Etat. Et les gens, avec la pauvreté, avec le fait qu'on ne contrôle pas les richesses et donc c'est la loi du plus fort. Donc, la solution dans ce genre de situation, elle est beaucoup plus complexe. Par exemple, juste d'ouvrir une route, de faire un pont, ça peut réduire la violence. De ramener la justice dans une zone et d'arrêter 2 ou 3 des tireurs de ficelles qui sont en train de manipuler les gens.

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DW : Oui, mais certains Congolais sont mécontents parce qu'ils disent que les soldats de la Monusco assistent parfois de façon indifférente à des massacres dans plusieurs localités de l'est de la RDC.

Leila Zerrougui : Les Congolais, parfois désespérés, mettent la pression sur la Monusco parce qu'ils pensent que la Monusco peut faire plus ou peut faire mieux. Quand vous libérez une zone d'un groupe armé comme les ADF, par exemple, c'est très important de garder les zones que vous avez libérées. Sinon, vous rentrez et ils reviennent. Il faut renforcer les capacités des FARDC. Il faut les aider à être une force d'interposition et de frappe durable qui va à la fois attaquer l'ennemi, mais aussi protéger la population.

DW : Mais justement, il y a des complicités entre certaines populations, avec les rebelles ADF ou les autres…

Leila Zerrougui : Ça existe toujours. Quand vous ne protégez pas, quand l'armée n'est pas présente, elle ne protège pas. (...) Les brebis galeuses, ça existe partout.

La Monusco compte plus de 18.000 personnels en RDCImage : AFP/S. Tounsi

DW : Même au sein des FARDC, selon nos informations.

Leila Zerrougui : Bien sûr, mais laissez les FARDC. Regardez la majorité de l'histoire des FARDC : beaucoup des groupes armés ont été intégrés dans l'armée. C'est pour ça qu'on se bat aujourd'hui pour dire : "arrêter cette saignée, n'intégrez plus des gens qui ont pris les armes contre la République pour après prétendre qu'ils vont la défendre". Ce n'est pas une démarche saine.

DW : La Monusco a entamé la fermeture de plusieurs de ses antennes dans le pays, faute de budget. Est-ce que vous n'allez pas laisser la place à ces groupes armés qui écument l'est du pays ?

Leila Zerrougui : Notre retrait est responsable. Là où on est sûr que les autorités peuvent assumer la responsabilité de la sécurité, on peut quitter. Mais là où on pense que la situation est encore sensible, on continue à travailler et on va essayer de convaincre le conseil en décembre quand on présentera…

DW : Et justement par rapport à décembre, Vous espérez que le mandat de la Monusco va être une nouvelle fois prorogé ?

Leila Zerrougui : Il n'y a aucun doute que le mandat sera prorogé. La question, c'est qu'est ce qu’il va contenir.

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